Séverine Lagneaux Anthropologue

Élever des animaux : attachement, dépendance et déviance

A priori, la question animale est secondaire par rapport aux problèmes « sérieux » ou dramatiques des hommes. A priori aussi, les choses sont simples et évidentes, puisque nos héritages philosophiques et technoscientifiques établissent une frontière entre deux mondes : la raison des hommes et la bêtise des animaux, exploitables pour satisfaire nos besoins dans le respect aujourd’hui de leur bien-être. D’un côté, il y a les Hommes, d’un autre les animaux. Et pourtant…

Dans l’introduction des 101 dalmatiens, Walt Disney soulignait le mimétisme qui rapprochait le maître et son chien, dans ce que Dominique Lestel a appelé une communauté hybride qui souvent dépasse la fiction. Comment vivent les acteurs au sein de ces communautés hybrides ? En plongeant dans le quotidien d’éleveurs d’animaux de compagnie et de rente, il sera question d’attachement, de dépendance, mais aussi de déviance. Les descriptions, représentations et pratiques de ces interactions hybrides permettent d’interroger l’addiction, de révéler tant les contraintes et bénéfices de l’attachement que les 7 supercheries et les pièges de l’excès passionné de la gadgeti sati on et de l’anthropomorphisme.

L’addiction n’est pas un thème spécifique de la recherche que je mène. Je travaille essentiellement sur les relations entre les hommes et les animaux dans les élevages de rente. Aussi, si je suis coutumière des propos des éleveurs belges ou roumains, je fréquente moins l’élevage d’animaux de compagnie. Les propos recueillis ici, les données traitées, proviennent donc de trois élevages laitiers wallons, d’une ancienne éleveuse de chat de concours, d’éleveurs présents lors du concours international américain de chat de Floreffe et de l’observation d’un salon de mode et de beauté canin dont le slogan dit « Parce que rien n’est assez beau pour notre plus fidèle compagnon » et « Qui permettra de révéler le fashionista qui sommeille en notre toutou ». L’animal ne sera pas abordé ici sous l’angle du modèle pour penser les mécanismes de l’addiction humaine, pas plus que comme une thérapie. Je n’aborderai pas non plus l’addiction en son sens médicalisé, mais plutôt en tant qu’att achement.

Il sera question de la dépendance et de la bienfaisance de la coprésence au cœur d’une interaction, tout d’abord dans l’élevage d’animaux de compagnie en premier lieu, de l’élevage de rente ensuite. J’analyserai enfin, tant que faire se peut, les déviances dénoncées par les éleveurs, leurs formes et dangers perçus également sur le terrain.

Élever des animaux : attachement, dépendance et déviance