RAT du RAT, RAT du RAT Novembre 2017
Publié le 13/11/2017

Au cours d’une séance, une patiente évoquait avec surprise cette image qui s’était formée dans ses pensées, et qu’elle appelait « une petite Claire sous globe ».  Elle décrivait ces petits globes en plastique qu’on secoue pour y faire tomber la neige, et les paysages tranquilles qui y sont en général représentés en évoquant par-là, avec un peu d’étonnement, la place qu’elle désirerait que j’occupe dans son psychisme: une petite Claire sous globe, à qui on peut faire appel quand le monde devient difficile à déchiffrer, et qu’on garde à portée de main toujours au fond d’une poche…

Et poursuivant ses associations, elle s’exclame : « Ah si j’avais pu rester catholique! »

Nous sommes peu après le colloque sur le sentiment religieux et son impact dans la vie relationnelle de nos patients, et je suis encore remplie des évocations faites par les participants, mais a priori plutôt interpellée par le versant culturel et identitaire que par le versant religieux lui-même.

Le lien que fait ma patiente entre sa « petite Claire sous globe » et la religion m’amuse (je m’imagine aisément en statuette sous la neige), mais m’interpelle : comment le comprendre?

Lafontaine, dans  la fable du Lion et du Rat, dit : on a souvent besoin d’un plus petit que soi.

Tout est dans les fables de Lafontaine, et souvent si vrai… mais là, il a oublié cette profonde vérité  psychique: on a souvent besoin d’un plus grand que soi.

Toute la vie nous gardons en nous les images précieuses, plus ou mon solides ou abimées en fonction des vies que nous avons vécues, des tout premiers « plus grands », véritables dieux, pourvoyeurs de tout ; chaleur, nourriture, sécurité, câlins, apaisement, mais aussi rétorsion, punition, abandon…

Toute la vie ces images, mille fois refaçonnées, nous accompagnent, sous la forme d’idoles en tous genres, depuis les dieux jusqu’aux riches et aux puissants, aux rois, aux princes, aux stars, en passant par les psys et les médecins (et parfois même par les compagnes ou compagnons que nous parons, à notre insu,  des vertus sécurisantes dont nous avons tant besoin).

Renoncer à la grandeur et à la véracité de ces idoles est pour chacun de nous terrifiant, et lourd de menaces. La toute-puissance supposée (ou réelle parfois ; il est des personnes qui votent pour un dictateur) d’un Autre, porte en son sein la nôtre propre: si elle existe, la nôtre est possible et l’on peut garder intact le rêve de son existence (secrète, fantasmatique, mais agissante) au sein de notre propre psychisme.

Le deuil de cette toute-puissance, jamais complètement fait, toujours à (re)faire, est un travail de toute la vie.  Douloureux, difficile, il l’est pour tous, mais singulièrement pour nos patients, qui ont trouvé souvent dans leur objet d’addiction cette potentielle toute puissance à leur disposition constante, leur sorte de « petite Claire sous globe » à eux.  Tour à tour apaisants, câlins, ou narcissisants à l’extrême, les produits qu’ils prennent, comme les religions auxquelles on croit, nous maintiennent dans l’illusion qu’existeraient force, protection, sécurité et stabilité ; ils nous mettent à l’abri de ce qui, in fine, semble le plus terrifiant pendant le temps de notre passage dans cette vie : notre fragilité et celle de ceux que nous aimons,  notre dépendance, l’incertitude du lendemain, la douleur de l’incomplétude, la peur de perdre l’amour, la finitude, …

Mais c’est ce lent travail qui permet à chacun de prendre ce risque terrible, d’affronter ces peurs, et de s’approprier ce qui lui revient, à savoir sa propre « petite vie banale », comme disent parfois certains patients, de l’occuper pour soi-même et d’en jouir comme il se doit, le mieux possible. Le rêve que beaucoup d’entre eux expriment comme inaccessible, celui d’avoir une vie « normale ».

Faut-il lire le retour du religieux, et l’efflorescence des addictions en tous genres, à l’aune de ces risques que nous ne voulons plus accepter? De ces angoisses qui n’ont plus droit de cité?

« Sky is the limit », fut dans un passé récent un slogan publicitaire très efficace pour faire vendre des quantités de véhicules « quatre fois quatre » adaptés pour les pistes du désert, à nombre d’habitants de nos contrées qui font le trajet régulier depuis Rhodes Saint Genèse vers Uccle, coins de Bruxelles où l’on connait un état des routes certes imparfait, mais seulement de très loin semblable à celui des pistes du Hoggar… Il faut semble-t-il en convenir, penser que la puissance d’un moteur que l’on contrôle ne rencontre de limites que le ciel, provoque subtilement les mêmes décharges de dopamine qu’une dose de coke bien calculée…

Qui pourrait jurer aujourd’hui que l’addiction est une maladie?

Par Claire Remy