RAT du RAT, RAT du RAT Juin 2016
Publié le 14/06/2016

Pourquoi mettre en place un groupe écriture ? Telle est la question que Caroline et moi nous sommes posée en attendant nos collègues à la réunion « groupe d’écriture » à laquelle je les avais conviés.  Finalement personne ne nous rejoindra, peut-être que la surcharge de travail et les grèves à répétition auront eu raison de la réunion ce jour-là. Mais faut-il pour autant faire l’économie de cette question qui, au départ anodine, n’est peut-être pas dépourvue de sens ?

Cette envie d’écrire est apparue dans les réflexions du groupe Un. Pour rappel, celui-ci a été mandaté par l’AG de juin 2015 pour réfléchir à la mise en place d’un comité scientifique composé de médecins pour répondre à une question soulevée « quelle place pour les généralistes dans l’institution comme experts de la médecine générale ? ».

Nos réflexions ont porté sur la question de la visibilité, du partage et de la transmission. Comment renforcer la visibilité du RAT ? Comment partager notre goût pour cette clinique avec d’autres médecins ? Comment transmettre notre travail pour que d’autres généralistes rejoignent le RAT ?

Toutes ces questions découlent d’une autre, essentielle, qui porte sur l’accessibilité aux soins de première ligne pour le public toxicomane. Public dont l’image a bien évolué au fil du temps mais qui est encore mis à mal.

L’image du RAT serait-elle en miroir avec sa clinique ? Nous avons toujours été discrets, aux marges, pour permettre une inscription de nos patients dans une lecture moins stigmatisante.

Alors, pourquoi écrire sur cette clinique ? Pourquoi la rendre plus visible ? Devenons-nous nous laisser emporter dans ce mouvement politique du cloisonnement et de l’étiquetage ou nous en défendre ? L’écriture serait-elle justement un moyen de continuer à prendre de la distance et à construire cette clinique qui semble si particulière aux yeux de la majorité ? Serait-elle un moyen de rendre plus visible notre travail, ce qui rendrait probablement en retour les soins plus accessibles pour nos patients et accroîtrait le nombre de places en première ligne? Quelque part, rendre notre travail plus visible permettrait moins de visibilité à nos patients et donc nous pourrions sortir de ce jeu de miroir ou du moins nous en dégager un tant soit peu.

Mais l’écriture n’est pas un acte facile. Elle demande du temps. Elle est prise de position. Elle est inscription. Elle est réflexion. Elle est mise en avant.

« Un romancier est plus doué pour l’écrit que pour l’oral. Il a l’habitude de se taire et s’il veut se pénétrer d’une atmosphère, il doit se fondre dans la foule. Il écoute les conversations sans en avoir l’air, et s’il intervient dans celles-ci, c’est toujours pour poser quelques questions discrètes afin de mieux comprendre les femmes et les hommes qui l’entourent. Il a une parole hésitante, à cause de son habitude de raturer ses écrits. Bien sûr, après de multiples ratures, son style peut paraître limpide. Mais quand il prend la parole, il n’a plus la ressource de corriger ses hésitations »[1] En quoi le médecin est-il doué ? Quelles sont ses habitudes face aux patients ? Pourrions-nous dire que comme le romancier, il prend grand soin d’écouter ? Il utilise sa parole pour accompagner et soigner.

Par contre, il a peut-être l’écriture hésitante. Nous (je me joins ici aux médecins) n’avons pas l’habitude d’utiliser cet outil dans notre travail. Nous parlons de nos patients en supervision mais nous ne les racontons pas par écrit.

Tout comme l’écrivain Modiano explique qu’il s’est mis à écrire à la sortie de son enfance en espérant que les adultes le liront, « Ils seront obligés ainsi de vous écouter sans vous interrompre et ils sauront une fois pour toutes ce que vous avez sur le cœur »[1], ne devons-nous pas passer par cette étape pour être entendu par nos collègues et les politiciens ? N’avons-nous justement pas cette responsabilité de raconter ?

Oserons-nous un travail d’écriture collectif afin de mettre en avant la transversalité de notre travail ? Nous avons beaucoup de choses à raconter sur nos patients et l’écriture est peut-être un des moyens, dans cette période politique et sociétale bien difficile, de laisser des traces, de « rendre sujets » nos patients et donc de continuer à leur rendre la première ligne de soin accessible. Le RAT a une longue histoire avec la recherche. Pourrait-il en poursuivre une avec l’écriture ?

« Mais c’est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l’oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme des icebergs perdus qui dérivent à la surface de l’océan. »[1]

 

Par Frédérique Cox

 

[1] Patrick Modiano, Verbatim : le discours de réception du prix Nobel de Patrick Modiano, (En ligne), 7/12/2014, http://mobile.lemonde.fr/prix-nobel/article/2014/12/07/verbatim-le-dicours-de-reception-du-prix-nobel-de-patrick-modiano_4536162_1772031.html (page consultée le 31/3/2015)