Pourquoi parler du sentiment religieux aujourd’hui?
Comme vous le savez, les journées du RAT d’abord, et les colloques ensuite se sont toujours définis comme un espace de « prise de recul » pour les intervenants qui y participent.
Le « nez dans le guidon » comme on le dit pendant toute l’année, souvent noyés dans les urgences diverses et sous l’impact affectif du travail clinique, il est en effet difficile de prendre du recul et de regarder ce que les américains appellent si joliment la « big picture ». L’objectif des colloques et journées est donc de créer cet espace où il est possible de faire un « retour sur pratiques ».
Pour cela, les colloques du RAT se construisent comme cet espace où l’on regarde le monde au sein duquel on évolue sous les angles les plus divers, où l’on se donne les moyens de comprendre le sens de son travail, et surtout où l’on cherche un maximum d’informations issues des cénacles savants les plus divers, souvent universitaires mais pas uniquement, souvent liés à des expériences pratiques aussi, afin de se faire une « religion » de référence pour faire évoluer ses propres pratiques de terrain.
Le choix du thème est donc toujours un moment de réflexion intense : qu’est ce qui va nous éclairer? Dans quel(s) domaine(s) sommes-nous « incultes »? Bien entendu il y a beaucoup de domaines où l’on pourrait apprendre des choses, mais quel sera celui qui nous servira le plus, à ce moment de notre parcours? C’est le moment de mettre à contribution tout ce qu’on a lu, entendu ou vu récemment, tout ce qui nous a touché, interpellé, amusé, questionné, énervé, fâché au cours de l’année qui s’est écoulée.
Cette année, il ne nous a pas fallu chercher bien loin. Les attentats autour de nous ont fait assez de bruit pour que la question ne se pose plus. Il n’est plus possible d’ouvrir un journal sans y lire les comptes rendus d’attentats liés à des guerres plus ou moins lointaines, de pourparlers, de drames humains,… Le plus souvent ces commentaires sont accompagnés de réflexions diverses sur la « radicalisation » (des autres, évidemment).
Mais la quantité d’info est telle qu’il est difficile d’y identifier un fil de réflexion, un chemin pour s’y retrouver. Dans cette recherche pour trouver du matériau de construction de pensée, j’ai un jour repéré (presque par hasard) un petit livre dans le genre assez « provoc ». C’est un créneau que souvent j’aime bien… Il s’agit d’un livre intitulé : « Un silence religieux » (la gauche face au djihadisme) de Jean Birnbaum, journaliste au « Monde des Livres ».
Le livre est intéressant et soulève des questions importantes, mais surtout cette lecture a donné forme pour moi à une idée que je pressentais depuis longtemps lors des débats sur la « radicalisation », mais sans jamais pouvoir la préciser : élevée dans un milieu complètement athée, je me suis toujours intéressée aux religions, elles m’ont toujours fascinée mais je ne comprends pas le « sentiment religieux », je ne comprends pas ce que veut dire « croire », « avoir la Foi » (en un Dieu). Comprendre en effet c’est « prendre avec », donc partager…
J’ai fait des « enquêtes » autour de moi et j’ai réalisé qu’effectivement, ce journaliste a raison lorsqu’il dit qu’élevés en dehors de la religion, ou plus exactement élevés dans une religion qu’on appelle « Science », nombre d’entre nous (et moi de fait…) ne comprenons pas ce que représente ce que d’autres semblent naturel d’éprouver, « la foi ». La foi en un Dieu quel qu’il soit, mais tout puissant, et extérieur à la raison. Nous (enfin ceux-là élevés dans la religion « science et raison », « pouvoir de l’homme »,…) oublions que par exemple, la moitié des habitants des USA sont créationnistes, que nombre d’écoles au USA enseignent le créationnisme au cours de science. Nous oublions que Darwin fait encore peur aujourd’hui. Nous le savons, mais nous ne réalisons pas, je pense, le gouffre que cela représente pour la pensée. Et la source de malentendus catastrophiques que cela construit au sein de nos cultures métissées, qui justement ne sont pas « métisses », mais bien de plus en plus clairement « mosaïques ».
C’est après cette lecture que le choix du thème du colloque m’est « apparu » (comme une apparition de la Vierge de Beauraing) : mais, les humains ont toujours eu des Dieux, qu’est ce qui nous arrive, qu’est ce qui m’arrive? Comment comprendre leur absence dans une grande partie de l’Occident mais aussi leur présence, en positif ou en négatif (au sens photographique), pourtant si visible, en particulier dans les rencontres cliniques?
Bien entendu on pourra se référer aux prémisses des Lumières, au changement de statut du « sujet », qui de jouet des Dieux devient, par sa raison, « sujet du Verbe » et donc maître de l’action. Statut que, dans notre monde occidental, nous occupons vaille que vaille… Mais quelles sont les bases psychiques (et autres?) d’un tel mouvement qui met l’homme au centre du Monde et en éjecte les Dieux, millénaires? Je ne manquerai pas de revenir vers vous dans un autre article pour ceux que cela intéresse, autour de la question des Lumières.
L’idée donc s’est construite ensuite dans nos réflexions d’équipe, de se pencher sur l’expérience religieuse, le sentiment religieux, le lien cosmologique, la présence ou l’absence de l’Esprit (saint), … et l’économie psychique que cela (r)établit.
C’est pourquoi nous avons cherché pour vous (et cherchons encore) des orateurs qui pourront nous éclairer chacun(e) à leur manière, sur le thème tel que nous l’avons redéfini : Utopies, Spiritualités, (nouvelles) croyances religieuses : les dernières possibilités de rêver ?
Par Claire Remy