RAT du RAT, RAT du RAT Novembre 2017
Publié le 13/11/2017

[NDLR: suite à des problèmes informatiques, cet article, qui reflète un questionnement à un moment donné, n’a pu paraître que quatre mois après la date de sortie initialement prévue.]

Le 4 mai dernier, ce projet de loi impliquant la levée du secret professionnel des assistants sociaux travaillant dans les institutions de sécurité sociale (CPAS entre autres) est devenu réalité. Après de nombreux rebondissements, ce texte fut adopté à la majorité contre opposition, plus le CDh qui a voté pour.

La genèse de ce texte s’inscrit dans un contexte socio-économique marqué par une logique libérale qui tend à limiter l’intervention de l’État dans l’aide sociale.

Les années 80 ont vu le développement de politiques monétaristes où le libre marché se marque en opposition à l’intervention de l’État. Le “Thatchérisme” en Angleterre et le “Reaganisme” aux États-Unis prônent à la fois un conservatisme politique et un libéralisme économique. Les effets de ces politiques se traduisent en Belgique par la création de l’État Social Actif. Modèle proposé par le Ministre des Affaires Sociales et des Pensions, Frank Vandenbroucke (SP), durant la législature du gouvernement Verhofstadt I (1999-2003) suite à un voyage d’étude en Angleterre.

Ces politiques d’activation vont, petit à petit, remodeler tous les secteurs de l’action sociale. Dans les effets les plus marquants, il y a la transformation des noms de certaines institutions: les CPAS, Centres Publics d’Aide Sociale, deviennent les Centres Publics d’Action Sociale, l’ORBEm (Office Régional Bruxellois de l’Emploi) devient ACTIRIS (ou le mot “action” est également mis en avant). La loi sur le minimex de 1974 sur le droit au minimum de revenus d’existence est revue et complétée par l’Arrêté Royal de 2002 portant sur le règlement général en matière de droit à l’intégration sociale. Dans tous ces éléments, la question du vocabulaire prend tout son sens. Il serait facile de n’y voir qu’une impulsion positive tout à fait légitime de soutenir une mise en action, de participer plus activement à la réalisation des projets pensés par les usagers de nos services mais dans la réalisation, il n’en est rien. Les politiques sociales de ces dernières années ont été menées dans une logique restrictive, où l’usager doit constamment démontrer qu’il rentre (et reste) dans les conditions de l’octroi de l’aide, et ces conditions se sont considérablement élevées et durcies. Isabelle Astier, dans son ouvrage les “Nouvelles règles du social”, parle de “renversement de la dette”. Il n’est plus de la responsabilité de l’État ni de la société de prendre en charge les plus démunis mais il est attendu que les plus démunis démontrent qu’ils méritent l’aide qui leur est accordée. Si la question de la relation d’aide et du contrôle sont intrinsèquement liées depuis toujours, les uns la dénonçant et les autres soutenant son exercice, il est de plus en plus admis que cette question du contrôle prend doucement toute sa place dans l’application des politiques sociales de ces 15 dernières années. Au renversement de la dette d’Isabelle Astier, j’y ajouterai un renversement idéologique. Phénomène analysé par de nombreux auteurs ; la précarisation du salariat de Robert Castel, l’idéologie managériale décortiquée par Vincent De Gaulejac, tous signalent aussi le basculement de création du lien des acteurs de l’action sociale dans la méfiance et la suspicion. Les questions de traques à la fraude sociale deviennent un enjeu majeur de nombreuses institutions de sécurité sociale. L’opinion publique, alimentée par les médias, se convainc que les allocataires sociaux cherchent à abuser de la solidarité sociale, qu’il y a nécessairement beaucoup d’individus qui “profitent” du fait d’être au chômage ou d’être allocataire de CPAS. La réalité économique appuie l’idée que les caisses sont vides et que si l’État doit subvenir en aide aux plus démunis, il ne le fera qu’auprès des usagers qui ont démontré toute leur bonne volonté à « s’en sortir ».

Le deuxième socle de cette loi est la lutte contre le terrorisme. Les stigmates imposés aux allocataires sociaux quant à leur prétendue fainéantise et leur volonté frauduleuse ne suffisait pas… Aujourd’hui s’ajoute également l’amalgame du terreau terroriste que représenteraient les CPAS. Car c’est bien le 22 mars 2016 et les attentats de Bruxelles qui sont les déclencheurs de la rédaction de cette loi, soutenue par Madame Valérie Van Peel (NV-A), membre de la Chambre et Willy Borsus (MR), ministre fédéral ayant l’Intégration sociale (entre autres) dans ses missions. La levée du secret professionnel s’inspire d’un fait qui prétend qu’un CPAS se serait retranché derrière le secret professionnel dans le cadre d’une enquête criminelle faisant suite aux attentats du 22 mars. Plutôt que de sanctionner ce mésusage du secret professionnel, il a plutôt été envisagé de le supprimer purement et simplement pour une partie des assistants sociaux. L’idée sous-jacente étant que les assistants sociaux de CPAS se rendent complices des terroristes en refusant de les dénoncer. Au-delà de l’absurdité et de la violence de ces insinuations, la commission de la Chambre en charge de la lutte contre le terrorisme envisage réellement, parmi d’autres projets, que la levée du secret professionnel soit un outil majeur pour débusquer les terroristes là où ils sont, à savoir pris en charge par les CPAS. De nombreux acteurs ont immédiatement dénoncé l’ignominie de cette loi qui présuppose que les assistants sociaux connaissent des terroristes et qu’ils soient incapables de dénoncer à la justice des éléments perçus comme des signes de radicalisation. Et depuis l’été dernier, le travail de la commission de lutte contre le terrorisme a été suivi attentivement par de nombreuses associations de défense des droits des citoyens et d’usagers d’institutions sociales.

Pourtant c’est bien la fusion de ces logiques, à la fois libérales et sécuritaires, qui mène au vote de cette loi. Et ce n’est pas rien. Allant jusqu’à utiliser la parole de proches ayant perdu un être cher dans les attentats du 22 mars fustigeant les assistants sociaux qui revendiqueraient une quelconque alliance avec des terroristes…. Les débats ont été très loin et la médiatisation du projet de loi a suscité de nombreux débats parfois musclés.

Pour rappel, le secret professionnel c’est quoi? Le secret est bien une obligation pénale, l’obligation pour le professionnel de respecter l’article 458 du Code Pénal. Ce n’est pas un droit, mais la condition nécessaire à toute relation d’aide. Cela ne concerne pas uniquement les assistants sociaux, cela concerne toute personne dépositaire, par état ou par profession, des secrets qu’on lui confie. Les médecins, les chirurgiens, les officiers de santé, les pharmaciens sont attachés à la confidentialité de leurs interventions par le même article 458 du code Pénal. De nombreux acteurs des différents champs d’action concernés par l’article 458 du code pénal sur le secret professionnel redoutent que le vote de cette loi ne fasse, à terme, jurisprudence et que la levée du secret professionnel soit finalement étendue… C’est à ce titre que des juristes, des psychologues, le recteur de l’ULB et d’autres personnalités se sont associés à la manifestation du jeudi 16 février dernier. Il ne s’agit pas uniquement de défendre une profession, mais un principe démocratique. La stigmatisation et la criminalisation des publics de nos services doit stopper. Le gouvernement actuel, au même titre que de nombreux pays occidentaux, applique de manière stricte un détricotage des droits sociaux et du droit à la confidentialité d’un colloque singulier entre un praticien et un demandeur d’aide. Cela porte atteinte non seulement à la vie privée de citoyens et de personnes vulnérables, mais cela nuit également gravement à l’exercice d’une relation d’aide et d’accompagnement.

Ce projet de loi ouvre une brèche que le gouvernement agrandit déjà avec les votes d’autres lois, lucidement appelées “pot-pourri”. Elles ont été initiées en 2015 par une série de modifications concernant les parcours de justiciables. Les avocats critiquaient déjà vivement certaines mesures mettant à mal le respect de la vie privée. Ce jeudi 29 juin sera votée la version “pot-pourri V” qui concerne à nouveau la suppression du secret professionnel dans le cadre de concertations à l’initiative du Parquet.

Croire que seuls les assistants sociaux de CPAS ne seraient concernés et donc devenu aujourd’hui obsolète. Ce sont tous les métiers d’aide qui vont être tour à tour dénigrés et démantelés.

Les diverses fédérations et regroupements d’acteurs de terrain sont mobilisés pour tenter de faire barrage à cette déferlante sécuritaire. Toutes les actions de mobilisations et de résistance sont les bienvenues. Nos usagers sont concernés par la fragilisation du lien qui les unit aux professionnels qui les accompagnent, et nos métiers sont en danger. Par une sensibilisation des acteurs de terrain et par l’ouverture d’espaces de parole et, pourquoi pas, de résistance, les dégâts peuvent être limités. Le vote de ces lois renvoie à la question de la résistance, voire de la désobéissance civile.

 

Par Edith Decraen, Assistante sociale