RAT du RAT, RAT du RAT Janvier 2018
Publié le 23/01/2018

Notre position de médecin nous permet, avec nos patients « addicts », des rencontres particulièrement enrichissantes.
C’est un poncif qu’on se répète souvent, mais je viens d’en expérimenter une nouvelle fois la profonde véracité, et cet article me donne l’occasion de partager ce moment avec vous.

Voilà en effet plus de trente-cinq ans que je connais Katheline. Elle est venue me voir dans les premiers temps des traitements de substitution, lourdement embarquée dans une malheureuse histoire de couple et dans une addiction qui lui avait fait prendre de très gros risques avec sa santé physique.

Rien n’avait pourtant destiné cette jeune femme, universitaire et de bonne famille, à rencontrer l’héroïne dans une aussi sévère addiction. Lorsqu’elle se retourne en arrière aujourd’hui,  elle considère ce temps comme une course éperdue vers l’amour et la reconnaissance d’une mère, d’un père, d’un partenaire, tout puissant et dans le désir duquel elle se coulait pour trouver un peu de cette sensation d’apaisement que donne au bébé l’illusion de l’amour inconditionnel et absolu d’une mère.

Se couler dans le désir de l’autre l’a amenée à vivre une vie fort chaotique et peu satisfaisante bien qu’au fil du temps, de son courage personnel et de l’appui qu’elle a trouvé dans l’accompagnement et la substitution, elle ait retrouvé un métier, un travail, des expériences intéressantes et constructives, mais toujours sur fond de consommation régulière et d’insatisfaction affective profonde.

Et puis soudain, il n’y a pas si longtemps, je l’ai vue arriver toute souriante…

Bien entendu elle n’a plus vingt ans et la vie qu’elle a menée a laissé des traces sur son visage et son corps, mais elle paraissait si détendue tout à coup… Rajeunie, heureuse, détendue…

A mes questions elle a répondu avec un clin d’œil, qu’elle avait maintenant un secret.  Je me suis demandé avec une certaine inquiétude, s’il s’agissait d’une nouvelle histoire d’amour? Mais non, ce n’était pas cela. Elle revivait me disait-elle, enfin, une vie complète… Grâce à la découverte d’un site internet qui parlait du plaisir des femmes.

C’est alors que j’ai compris, dans ce qu’elle ne disait pas, qu’à force de se couler dans les désirs de l’autre, elle n’avait jamais eu la préoccupation de son désir/plaisir à elle. Évidemment, l’image qui arrive immédiatement à l’esprit est la traduction sexuelle de cet état d’esprit qui imprègne nos cultures et notre image des femmes depuis la Bible. Et même si en ce moment, il semble que cela puisse changer (pour le meilleur ou le pire, on ne le sait pas encore), témoin les débats qui font rage dans le champ féministe depuis l’affaire Weinstein, pour elle ce qui a changé c’est avant tout la prise de conscience, via la sexualité, qu’elle avait un corps qui pouvait servir à autre chose qu’à donner du plaisir ou à réaliser le désir des autres… Qu’elle avait le pouvoir elle-même de se donner du plaisir, et donc d’utiliser son corps non pas seulement dans le domaine sexuel, mais dans tous les domaines qu’elle souhaite,  pour son compte propre.

Ce corps qu’elle a  méprisé toute une vie devient enfin digne de respect, de soins et d’amour, d’elle-même et des autres…

La légende dit de Phénix qu’il s’agit d’un oiseau fabuleux, originaire d’Arabie, et rattaché au culte du Soleil, dans l’ancienne Égypte, où il était vénéré. Selon les auteurs classiques grecs et latins, le phénix était une sorte d’aigle ; son plumage était splendide et se paraît de couleurs éclatantes.

Le phénix se reproduit lui-même : quand il sentait sa fin venir, il construisait un nid de branches aromatiques et d’encens, y mettait le feu et se consumait dans les flammes. Des cendres de ce bûcher surgissait le nouveau phénix. [1]

Des cendres du bûcher de l’addiction qui a consumé son corps pendant des années, elle a pu renaître en une nouvelle femme parée des plus belles couleurs.

 

Par Claire Remy

 

[1] Wikipédia, article Phénix