Comment se défaire d’une histoire d’amour impossible?
Une patiente me raconte inlassablement la triste histoire qui est la sienne: elle avait pourtant rencontré un si merveilleux amour… Mais voilà, dès les débuts le grain de sable s’est glissé dans l’engrenage: il est engagé ailleurs et ne pourra jamais être accessible. Trop de malheur ne pourrait que détruire la belle histoire qui se profile.
Qu’à cela ne tienne! On s’arrange malgré tout pour en vivre les meilleurs moments. Pour partager la substantifique moelle de cette passion tout en la maintenant sous le boisseau, on trouve toutes les astuces, tous les mensonges, tous les « arrangements » possibles.
Bien entendu, l’angoisse, la culpabilité, la honte sont aussi au rendez-vous. Ils ne peuvent pas manquer. L’histoire cachée, celle qu’on ne peut pas dire, qu’on ne peut pas montrer, qu’il faut taire même à sa meilleure copine, se venge… elle vient hanter les nuits de solitude, qu’on ne peut pas partager, qu’on ne peut pas meubler.
Mais les moments ensemble sont si heureux, si beaux, si joyeux, si lumineux. On s’y sent si fort, si « accroché », carrément « addict » … On en arrive à penser qu’ils vont permettre de supporter tout le reste, le manque, le vide, la peur. Et même la vie qui avance mais ne se construit pas…
Jusqu’au jour où tombe le voile: on ne peut pas rater le train de la vie, et il ne part qu’une fois.
C’est alors que commence l’enfer; comment « décrocher »? Comment oublier? Comment supporter de perdre ce qui a fait le sens de la vie pendant si longtemps?
Il y a les rechutes, les rencontres inopinées, celles plus subtilement programmées ou subrepticement organisées, les nouvelles séparations, l’irrémédiable douleur de la perte. Et le chagrin, la dépression sournoise, l’idée soudain que la vie n’a pas de sens, ou plus exactement qu’elle n’en n’a plus.
Et la terrible question qui se profile: y aura-t-il un après? Une autre histoire? Un avenir digne de ce nom? Arrivera-t-on à retrouver un sens à l’existence?
Vu du dehors, bien entendu toutes ces questions semblent insensées: les proverbes sont bien là pour nous le rappeler: « une de perdue, dix de retrouvées », « un clou chasse l’autre », etc… il en existe des dizaines en tous genres et dans toutes les langues. Un peu de patience, dira-t-on, ce n’est pas la fin du monde ce n’est que la fin d’une histoire.
Vu du dedans, c’est la fin du monde.
Je ne peux m’empêcher à l’écoute du chagrin de ma patiente, de penser à tous ceux qui tentent désespérément de s’abstraire de la passion pour le toxique/comportement qui les ravage. L’histoire de chaque relation à une personne ou à un produit, est sans doute un peu différente, mais pas vraiment tant que cela. Un objet d’amour et de passion, une source de plaisir et de bien-être, dont on sait qu’il ne pourra jamais nous rendre heureux vraiment, mais dont très vite on ne peut plus se passer tant ce qu’il apporte semble un pilier pour tout le reste de la vie. Et qui bien vite montrera ses limites et sa toxicité, dont on savait déjà pourtant, sans vouloir l’admettre, l’existence.
Et quand il faut le quitter, quelle difficulté, quelle douleur, quelle solitude.
En écoutant ma patiente, en éprouvant pour elle toute la sollicitude que me donne un vécu partagé- qui n’a pas connu au cours d’une vie, d’histoire semblable?- j’ai pensé que de penser à elle m’aiderait probablement à mieux réagir, lors des rechutes et tergiversations des patients « addicts » à un produit plutôt qu’à une histoire d’amour. À trouver la sollicitude nécessaire pour rester en lien intime avec eux, soutenir, pas juger…
À comprendre mieux que la passion est dans le cœur de celui/celle qui aime et n’a rien à voir avec la nature de l’objet.
Par Claire Remy