Et si « soin » n’égalait pas « soin »?
Cette dernière année, au sein de la FEDITO qui rassemble régulièrement tous les « Services Actifs en Matière de Toxicomanies » (dont « votre » RAT) et les autres services actifs à Bruxelles, et qui assume la charge de nous représenter auprès des autorités politiques (et donc, en dernière analyse, de nos financiers), nombre d’inquiétudes se sont faites jour à propos de notre avenir commun (celui du « secteur Toxicomanies ») dans les chamboulements annoncés de la sixième réforme de l’État.
Ce sont aussi les mêmes questions qui sont pensées et discutées au sein de toutes les organisations de la première ligne de soins dont les médecins généralistes font partie, c’est-à-dire les questions de l’organisation de cette première ligne, et des soutiens à mettre en place pour lui permettre de remplir au mieux ses missions.
Pour ceux qui, comme nous, sont actifs dans le domaine des addictions, la question prend une importance particulière, dès lors que les « plans santé » et autres grandes lignes qui dessinent l’avenir de Bruxelles occupent les devants de la scène où le personnel politique tente une mise en forme de la complexité politico-administrative de la démocratie « à la belge ».
Or ces derniers temps, un mouvement de « rationalisation », avec des objectifs avant tout financiers, s’installe et tente de rassembler sous une même bannière, « santé mentale », ce qui concerne l’addiction et ce qui concerne les maladies et la santé mentale. La FEDITO craint dans ce mouvement que la spécificité de notre travail ne disparaisse aux yeux du public et avec cela aux yeux des financiers.
Pourquoi pensons-nous qu’il est important que cette spécificité persiste? Que l’identité du « secteur tox », même non spécialisé, reste reconnue comme telle?
Le débat qui a eu lieu au sein de la FEDITO a pris pour point de départ la conception du soin, car cet angle de vue nous est apparu comme le plus parlant. Du point de vue du RAT, composé de médecins généralistes, ce thème est peut être encore plus instructif.
Depuis de longues années, à la lumière des colloques, rencontres, et autres discussions cliniques et/ou théorico-cliniques, la conception de l’addiction parmi ceux qui la prennent en charge, a beaucoup évolué.
Si au départ, notre premier combat (dans les années 85-95) était de faire sortir le « toxicomane » de la catégorie délinquant pour le faire entrer dans la catégorie malade, et par la même construire et justifier le déploiement de tout un secteur d’accueil pour ces « malades », le combat actuel (depuis les années 2000) s’est défini comme celui de la « banalisation » (au sens noble du terme) du comportement d’addiction. Banalisation signifie de comprendre l’addiction non comme une maladie, mais comme un comportement qui peut s’installer chez toute personne, comme une forme d’automédication, qui a pour but de la soutenir pour traverser une période de traumatisme ou de stress majeur, lorsque ce stress excède sa capacité de « métabolisation » personnelle, sa capacité de le supporter.
C’est cette conception qui ouvre la porte au déploiement du secteur tel qu’il s’est fait, avec le pan prévention, avec le pan soins, mais aussi avec le pan réduction des risques, et toutes ses facettes depuis l’échange de seringues jusqu’aux salles de consommation à moindre risque, en passant par les dispositifs de testing de pilules en milieu festif, visant avant tout une stratégie de contact, même embryonnaire, avec ce public. Partant de l’idée que tôt ou tard la plupart des « addicts » feront une rencontre qui les aidera à métaboliser autrement le traumatisme insoutenable et à reprendre le cours de leur vie, toute stratégie de limitation des dommages que l’usage abusif de produits ou de comportements à risques pourrait occasionner, prend tout son sens.
C’est pourquoi, dans un grand nombre de cas, les généralistes peuvent soigner efficacement ces patients sans recourir à autre chose comme soutien que le soutien psychosocial du type de celui que donne le RAT par exemple, c’est-à-dire un soutien inclus au sein de la première ligne de soin. Sauf exception, comme un sevrage d’alcool par exemple, ces patients ne doivent pas du tout obligatoirement recourir à l’aide de services spécialisés comme les services psychiatriques. L’appel à la deuxième ligne est relativement rare et pas du tout structurellement nécessaire.
La conception utilisée au sein de notre secteur est une conception du soin qui se passe dans le registre de l’accompagnement, du soutien, de l’aide sociale, en termes « psys » on dirait du « renforcement narcissique » de la personne, pour qu’elle trouve en elle les ressources nécessaires à sortir de ses difficultés autrement qu’en recourant aux produits ou aux comportements « drogues ».
Il n’en va pas du tout de même dans le domaine de la santé et de la maladie mentale. Il est par exemple difficile d’imaginer des dispositifs de « réduction de risques de psychose », et même si il est évident que les généralistes font beaucoup dans le domaine de la santé mentale, le recours aux services psychiatriques, que ce soit sous forme de médication ou d’hospitalisation, est de toute évidence plus nécessaire lorsqu’on parle de maladie mentale, ou de santé mentale.
Le mot soin en français est largement polysémique. Du « prends soin de toi » aux chimiothérapies, du soin palliatif aux techniques de diagnostic pointues, il y a toutes les facettes de ce qu’un humain peut faire pour un autre, de ce qu’une société peut penser pour panser les siens.
Soin n’égale pas soin, mais la définition du sens du mot dans les différents usages qu’on en fait prend aujourd’hui une importance qu’on n’avait peut-être pas vraiment imaginée.
Par Claire Rémy